LeS dOiGtS bLeUs
(Blue Fingers)
"Je toucherai le ciel et j'aurai les doigts bleus"
De Profundis...
the English version is just below
Bonjour à toutes et à tous, désolé pour le mois dernier, je n'ai pas été en mesure de vous envoyer la lettre poétique à temps car j'avais un emploi du temps très chargé. La lettre de ce mois-ci sera donc un peu plus conséquente que d'ordinaire.
En ces heures sombres pour la démocratie en France, j'invite celles et ceux d'entre vous qui sont inscrits sur les listes électorales à aller voter dimanche prochain. LeS dOiGtS bLeUs n'a pas vocation à prendre position en faveur d'un parti ou d'un candidat, mais il ne s'agit pas d'une élection ordinaire et les enjeux sont bien plus importants qu'ils ne l'ont encore jamais été sous la Ve République.
Mon sentiment est que si Jean-Marie Le Pen devenait président les valeurs de république seraient en grave danger. Je suis bien conscient du fait que Jacques Chirac tant au niveau de son comportement personnel que de ses engagements politiques est loin d'être irréprochable. Mais le leader du FN est un homme qui a été condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale, il a à plusieurs reprises évoqué les chambres à gaz comme un "détail" de l'histoire et nie les tortures commises par l'armée française en Algérie, il a tenu et tient toujours ouvertement des propos homophobes, c'est un ami personnel de Saddam Hussein, plusieurs cadres de son parti ont été condamnés pour avoir commis des violences sur des particuliers, des colleurs d'affiches du FN ont été condamnés pour avoir tué par balle une personne de couleur qui passait dans la rue lors d'un de leurs collages, il y a 9 ans une personne d'origine maghrébine jetée dans la Seine par des sympathisants FN est décédée en se noyant, à Vitrolles (ancienne mairie FN, désormais mairie MNR) les livres d'auteurs arabes ont été retirés de la bibliothèque municipale... la liste est longue et elle fait froid dans le dos.
J'espère de tout coeur que les gens se mobiliseront et iront voter Chirac pour faire barrage à Le Pen car certains des derniers sondages réalisés par le ministère de l'intérieur donnent 42% pour Jean-Marie Le Pen.
La sélection de poèmes de ce mois-ci porte un petit peu les couleurs des circonstances. Ce sont la noirceur et l'amertume qui la caractérisent. Voici le programme :
Poèmes en français (en blanc) :
Tard dans la vie de Pierre Reverdy
Il faut voyez-vous nous pardonner les choses... de Paul Verlaine
Je trahirai demain de Marianne Cohn
Chanson des escargots qui vont à l'enterrement de Jacques Prévert
Le Fou de Maurice Rollinat
De Profundis Clamavi de Charles Baudelaire
Remords posthume de Charles Baudelaire
L'étranger de Charles Baudelaire
Océano Nox de Victor Hugo
Lorsque tu fermeras mes yeux... d'Emile Verhaeren
Le Poison de Charles Baudelaire
Le Balcon de Charles Baudelaire
Poèmes en anglais (en bleu) :
Twenty-first. Night. Monday d'Anna Akhmatova
Solitude d'Anna Akhmatova
Lying in me d'Anna Akhmatova
Love's secret de William Blake
Song of the Wave de Khalil Gibran
You worry too much de Djalal-Ud-Dîn Rûmî
I don't know if you're alive or dead d'Anna Akhmatova
Ask those who know... de Yunus Emre
A well-worn story de Dorothy Parker
The Sea de Lewis Carroll
La Belle Dame Sans Merci de John Keats
A very short song de Dorothy Parker
A ces poèmes viennent s'ajouter deux petits cadeaux : le premier c'est "Hernani", la célèbre pièce de Victor Hugo, véritable manifeste du courant romantique ; et le second c'est "The Happy Prince", une très belle nouvelle d'Oscar Wilde.
Bonne lecture et au mois prochain !
Keyvan
webmestre des dOiGtS bLeUs
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Hello to all of you. I'm sorry about last month's letter but an extremely busy schedule has prevented me from getting it done in time so this month's letter is going to be a little longer than usually. Most of you might have heard of what's going on these days in France. The situation is critical : ghosts of racist ideologies that we thought had long disappeared were obviously still haunting the attic of the French political scene and are now challenging the republican principles. I hope that peace, love and open-mindedness will have their way.
Times are sad and that's why this month's poetic selection is rather dark and bitter. Here goes :
Poems in English (in blue) :
Twenty-first. Night. Monday by Anna Akhmatova
Solitude by Anna Akhmatova
Lying in me by Anna Akhmatova
Love's secret by William Blake
Song of the Wave by Khalil Gibran
You worry too much by Djalal-Ud-Dîn Rûmî
I don't know if you're alive or dead by Anna Akhmatova
Ask those who know... by Yunus Emre
A well-worn story by Dorothy Parker
The Sea by Lewis Carroll
La Belle Dame Sans Merci by John Keats
A very short song by Dorothy Parker
Poems in French (in white) :
Tard dans la vie by Pierre Reverdy
Il faut voyez-vous nous pardonner les choses... by Paul Verlaine
Je trahirai demain by Marianne Cohn
Chanson des escargots qui vont à l'enterrement by Jacques Prévert
Le Fou by Maurice Rollinat
De Profundis Clamavi by Charles Baudelaire
Remords posthume by Charles Baudelaire
L'étranger by Charles Baudelaire
Océano Nox by Victor Hugo
Lorsque tu fermeras mes yeux... by Emile Verhaeren
Le Poison by Charles Baudelaire
Le Balcon by Charles Baudelaire
...and as usual, I send you two attachments : "The Happy Prince", a beautiful short story by Oscar Wilde and "Hernani" a romantic play by Victor Hugo.
I hope you'll enjoy all of this !
Take care
Keyvan
webmaster of LeS dOiGtS bLeUs
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Tard dans la vie
Je suis dur
Je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place ou la foudre a frappé trop souvent
Un coeur ou chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement
Pierre Reverdy
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Twenty-First. Night. Monday
Twenty-first. Night. Monday.
Silhouette of the capitol in darkness.
Some good-for-nothing -- who knows why--
made up the tale that love exists on earth.
People believe it, maybe from laziness
or boredom, and live accordingly:
they wait eagerly for meetings, fear parting,
and when they sing, they sing about love.
But the secret reveals itself to some,
and on them silence settles down...
I found this out by accident
and now it seems I'm sick all the time.
Anna Akhmatova
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Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses...
De la douceur, de la douceur, de la douceur.
Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses :
De cette façon nous serons bien heureuses
Et si notre vie a des instants moroses,
Du moins nous serons, n'est-ce pas ? deux pleureuses.
Ô que nous mêlions, âmes soeurs que nous sommes,
A nos voeux confus la douceur puérile
De cheminer loin des femmes et des hommes,
Dans le frais oubli de ce qui nous exile !
Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
Éprises de rien et de tout étonnées
Qui s'en vont pâlir sous les chastes charmilles
Sans même savoir qu'elles sont pardonnées.
Paul Verlaine
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Solitude
So many stones have been thrown at me,
That I'm not frightened of them anymore,
And the pit has become a solid tower,
Tall among tall towers.
I thank the builders,
May care and sadness pass them by.
From here I'll see the sunrise earlier,
Here the sun's last ray rejoices.
And into the windows of my room
The northern breezes often fly.
And from my hand a dove eats grains of wheat...
As for my unfinished page,
The Muse's tawny hand, divinely calm
And delicate, will finish it.
Anna Akhmatova
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Je trahirai demain, pas aujourd'hui
Aujourd'hui, arrachez-moi les ongles
Je ne trahirai pas !
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
moi, je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous.
,je trahirai demain. Pas aujourd'hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre.
Il ne me faut pas moins d'une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
pour mourir.
Je trahirai demain. pas aujourd'hui-
La lime est sous le carreau,
La lime n'est pas pour le bourreau,
La lime n'est pas pour le barreau,
Le lime est pour mon poignet.
Aujourd'hui, je n'ai rien à dire.
Je trahirai demain
Marianne Cohn
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Lying in me
Lying in me, as though it were a white
Stone in the depths of a well, is one
Memory that I cannot, will not, fight:
It is happiness, and it is pain.
Anyone looking straight into my eyes
Could not help seeing it, and could not fail
To become thoughtful, more sad and quiet
Than if he were listening to some tragic tale.
I know the gods changed people into things,
Leaving their consciousness alive and free.
To keep alive the wonder of suffering,
You have been metamorphosed into me.
Anna Akhmatova
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Chanson des Escargots qui vont à l'enterrement
A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes réssucitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voila le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l'oeil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vous couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent a chanter
A chanter a tue-tête
La vrai chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais la haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
Jacques Prévert
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Love's Secret
Never seek to tell thy love,
Love that never told can be;
For the gentle wind does move
Silently, invisibly.
I told my love, I told my love,
I told her all my heart;
Trembling, cold, in ghastly fears,
Ah! she did depart!
Soon as she was gone from me,
A traveler came by,
Silently, invisibly
He took her with a sigh.
William Blake
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Le fou
Je rêve un pays rouge et suant le carnage,
Hérissée d' arbres verts en forme d' éteignoir,
Des calvaires autour, et dans le voisinage
Un étang où pivote un horrible entonnoir.
Farouche et raffolant des donjons moyen âge,
J'irais m'ensevelir au fond d'un vieux manoir :
Comme je humerais le mystère qui nage
Entre de vastes murs tendus de velours noir !
Pour jardins, je voudrais deux ou trois cimetières
Où je pourrais tout seul roder des nuits entières ;
Je m'y promènerais lugubre et triomphant,
Escorté de lézards gros comme ceux du Tigre.
--Oh ! fumer de l'opium dans un crâne d'enfant,
Les pieds nonchalamment appuyés sur un tigre !
Maurice Rollinat
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Song of the Wave
I and the shore are lovers :
The wind unites us and separates us.
I come from beyond the twilight
to merge the silver of my foam with the gold of its sand;
And I cool its burning heart with my moisture.
At dawn's coming I read passion's law to my beloved,
And he draws me to his breast.
At even I chant the prayer of longing,
And he embraces me.
I am fretful and without rest,
But my loved one is the friend of patience.
Comes the ebb and I embrace my love;
It flows, and I am fallen at his feet.
How I danced around the daughters of the sea
When they rose up from the depths
To sit upon the rocks
And behold the stars !
How I hearkened to the lover
Protesting his passion to a comely maid :
I did help him with sighing and moaning.
How I consorted with the rocks when they were
cold and still,
And caressed them, laughing, when they smiled not !
How I delivered bodies from the deep
And brought them to the living !
In what measure did I steal from the depths
Pearls, and gave to the daughters of beauty!
In the still night when all created things embrace
the phantom of sleep, I alone am awake, now
singing, now sighing.
Alas, wakefulness has destroyed me, but I am a
lover and the truth of Love is awakening.
Behold my life;
As I have lived, so shall I die.
Khalil Gibran
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De profundis clamavi
J'implore ta pitié, Toi, l'unique que j'aime,
Du fond du gouffre obscur où mon coeur est tombé.
C'est un univers morne à l'horizon plombé,
Où nagent dans la nuit l'horreur et le blasphème;
Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres mois la nuit couvre la terre;
C'est un pays plus nu que la terre polaire
- Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois!
Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace
Et cette immense nuit semblable au vieux Chaos;
Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l'écheveau du temps lentement se dévide!
Charles Baudelaire
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You Worry Too Much
Oh soul,
you worry too much.
You say,
I make you feel dizzy.
Of a little headache then,
why do you worry?
You say, I am your antelope.
Of seeing a lion here and there
why do you worry?
Oh soul,
you worry too much.
You say, I am your moon-faced beauty.
Of the cycles of the moon and
passing of the years,
why do you worry?
You say, I am your source of passion,
I excite you.
Of playing into the Devils hand,
why do you worry?
Oh soul,
you worry too much.
Look at yourself,
what you have become.
You are now a field of sugar canes,
why show that sour face to me?
You have tamed the
winged horse of Love.
Of a death of a donkey,
why do you worry?
You say that I keep you warm inside.
Then why this cold sigh?
You have gone to the roof of heavens.
Of this world of dust, why do you worry?
Oh soul,
you worry too much.
Since you met me,
you have become a master singer,
and are now a skilled wrangler,
you can untangle any knot.
Of life's little leash
why do you worry?
Your arms are heavy
with treasures of all kinds.
About poverty,
why do you worry?
You are Joseph,
beautiful, strong,
steadfast in your belief,
all of Egypt has become drunk
because of you.
Of those who are blind to your beauty,
and deaf to your songs,
why do you worry?
Oh soul,
you worry too much.
You say that your housemate is the
Heart of Love,
she is your best friend.
You say that you are the heat of
the oven of every Lover.
You say that you are the servant of
Ali's magical sword, Zolfaghar.
Of any little dagger
why do you still worry?
Oh soul,
you worry too much.
You have seen your own strength.
You have seen your own beauty.
You have seen your golden wings.
Of anything less,
why do you worry?
You are in truth
the soul, of the soul, of the soul.
You are the security,
the shelter of the spirit of Lovers.
Oh the sultan of sultans,
of any other king,
why do you worry?
Be silent, like a fish,
and go into that pleasant sea.
You are in deep waters now,
of life's blazing fire.
Why do you worry?
Djalal Ud Din Rumi
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Remords posthume
Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d'un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir
Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse;
Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,
Empêchera ton coeur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,
Le tombeau, confident de mon rêve infini
(Car le tombeau toujours comprendra le poète),
Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni,
Te dira: "Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts?"
- Et le vers rongera ta peau comme un remords.
Charles Baudelaire
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I don't know if you're alive or dead...
I don't know if you're alive or dead.
Can you on earth be sought,
Or only when the sunsets fade
Be mourned serenely in my thought?
All is for you: the daily prayer,
The sleepless heat at night,
And of my verses, the white
Flock, and of my eyes, the blue fire.
No-one was more cherished, no-one tortured
Me more, not
Even the one who betrayed me to torture,
Not even the one who caressed me and forgot.
Anna Akhmatova
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L'étranger
Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est restée jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages. Les nuages qui passent... là-bas...là-bas les merveilleux nuages !
Charles Baudelaire
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Ask those who know...
Ask those who know,
what's this soul within the flesh?
Reality's own power.
What blood fills these veins?
Thought is an errand boy,
fear a mine of worries.
These sighs are love's clothing.
Who is the Khan on the throne?
Give thanks for His unity.
He created when nothing existed.
And since we are actually nothing,
what are possessions, houses, shops?
God sent us here
to come and see the world.
This world itself is not everlasting.
What are all of Solomon's riches?
Ask Yunus and Taptuk
what the world means to them.
The world won't last.
What are You? What am I?
Yunus Emre
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Océano Nox
O combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Dans ce morne horizon ses sont évanouis!
Combien ont disparus, dure et triste fortune!
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Dans l'aveugle océan à jamais enfouis!
Combien de patrons morts avec leurs équipages!
L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots!
Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.
Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée;
L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots!
Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues!
Vous roulez à travers les sombres étendues,
heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh! Que de vieux parents qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grêve,
Ce qui ne sont pas revenus!
On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
Mêle encor quelques temps vos noms d'ombre couverts
Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goémons verts!
On demande:-Où sont-ils? Sont-ils roi dans quelque île?
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile?-
Puis votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.
Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue?
Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur!
Et quand la tombe enfin a fermé leurs paupières,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s'éffeuille à l'automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont!
Où sont-ils les marins sombrés dans les nuits noires?
O flots! Que vous savez de lugubres histoires!
Flots profonds redoutés des mères à genoux!
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!
Victor Hugo
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A Well-Worn Story
In April, in April,
My one love came along,
And I ran the slope of my high hill
To follow a thread of song.
His eyes were hard as porphyry
With looking on cruel lands;
His voice went slipping over me
Like terrible silver hands.
Together we trod the secret lane
And walked the muttering town.
I wore my heart like a wet, red stain
On the breast of a velvet gown.
In April, in April,
My love went whistling by,
And I stumbled here to my high hill
Along the way of a lie.
Now what should I do in this place
But sit and count the chimes,
And splash cold water on my face
And spoil a page with rhymes?
Dorothy Parker
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Lorsque tu fermeras mes yeux....
Lorsque tu fermeras mes yeux a la lumière,
Baise-les longuement, car ils t'auront donné
Tout ce qui peut tenir d'amour passionné
Dans le dernier regard de leur ferveur dernière.
Sous l'immobile éclat du funèbre flambeau,
Penche vers leur adieu ton triste et beau visage
Pour que s'imprime et dure en eux la seule image
Qu'ils garderont dans le tombeau.
Et que je sente, avant que le cercueil ne se cloue,
Sur le lit pur et blanc se rejoindre nos mains,
Et que près de mon front, sur les pales coussins,
Une suprême fois se repose ta joue.
Et qu'après je m'en aille au loin avec mon coeur
Qui te conservera une flamme si forte
Que même à travers la terre compacte et morte
Les autres morts en sentiront l'ardeur.
Émile Verhaeren
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The Sea
There are certain things -a spider, a ghost,
The income-tax, gout, an umbrella for three -
That I hate, but the thing that I hate the most
Is a thing they call the SEA.
Pour some salt water over the floor -
Ugly I'm sure you'll allow it to be:
Suppose it extended a mile or more,
That's very like the SEA.
Beat a dog till it howls outright -
Cruel, but all very well for a spree;
Suppose that one did so day and night,
That would be like the SEA.
I had a vision of nursery-maids;
Tens of thousands passed by me -
All leading children with wooden spades,
And this was by the SEA.
Who invented those spades of wood?
Who was it cut them out of the tree?
None, I think, but an idiot could -
Or one that loved the SEA.
It is pleasant and dreamy, no doubt, to float
With `thoughts as boundless, and souls as free';
But suppose you are very unwell in a boat,
How do you like the SEA.
There is an insect that people avoid
(Whence is derived the verb `to flee')
Where have you been by it most annoyed?
In lodgings by the SEA.
If you like coffee with sand for dregs,
A decided hint of salt in your tea,
And a fishy taste in the very eggs -
By all means choose the SEA.
And if, with these dainties to drink and eat,
You prefer not a vestige of grass or tree,
And a chronic state of wet in your feet,
Then -I recommend the SEA.
For I have friends who dwell by the coast,
Pleasant friends they are to me!
It is when I'm with them I wonder most
That anyone likes the SEA.
They take me a walk: though tired and stiff,
To climb the heights I madly agree:
And, after a tumble or so from the cliff,
They kindly suggest the SEA.
I try the rocks, and I think it cool
That they laugh with such an excess of glee,
As I heavily slip into every pool,
That skirts the cold, cold SEA
Lewis Carroll
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Le Poison
Le vin sait revêtir le plus sordide bouge
D'un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d'un portique fabuleux
Dans l'or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes,
Allonge l'illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l'âme au delà de sa capacité.
Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts,
Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers...
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l'oubli mon âme sans remords,
Et charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort!
Charles Baudelaire
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La Belle Dame Sans Merci
1.
O, what can ail thee, knight-at-arms,
Alone and palely loitering?
The sedge has wither'd from the lake,
And no birds sing.
2.
O, what can ail thee, knight-at-arms,
So haggard and so woe-begone?
The squirrel's granary is full,
And the harvest's done.
3.
I see a lilly on thy brow,
With anguish moist and fever dew;
And on thy cheeks a fading rose
Fast withereth too.
4.
I met a lady in the meads,
Full beautiful-- a faery's child,
Her hair was long, her foot was light,
And her eyes were wild.
5.
I made a garland for her head,
And bracelets too, and fragrant zone;
She look'd at me as she did love,
And made sweet moan.
6.
I set her on my pacing steed,
And nothing else saw all day long;
For sidelong would she bend, and sing
A faery's song.
7.
She found me roots of relish sweet,
And honey wild, and manna dew,
And sure in language strange she said--
"I love thee true."
8.
She took me to her elfin grot,
And there she wept and sigh'd full sore,
And there I shut her wild wild eyes
With kisses four.
9.
And there she lulled me asleep
And there I dream'd-- Ah! woe betide!
The latest dream I ever dream'd
On the cold hill side.
10.
I saw pale kings and princes too,
Pale warriors, death-pale were they all;
They cried-- "La Belle Dame sans Merci
Hath thee in thrall!"
11.
I saw their starv'd lips in the gloam,
With horrid warning gaped wide,
And I awoke and found me here,
On the cold hill's side.
12.
And this is why I sojourn here
Alone and palely loitering,
Though the sedge has wither'd from the lake,
And no birds sing.
John Keats
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Le Balcon
Mère des souvenirs maîtresse des maîtresses
O toi, tous mes plaisirs! O, toi, tous mes devoirs!
Tu te rappelleras la beauté des caresses,
La douceur du foyer et le charme des soirs,
Mère des souvenirs maîtresse des maîtresses,
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
Et les soirs au balcon, voiles de vapeurs roses.
Que ton sein m'était doux! Que ton coeur m'était bon!
Nous avons dit souvent d'impérissables choses
Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!
Que l'espace est profond! Que le coeur est puissant!
En me penchant vers toi, reine des adorées,
Je croyais respirer le parfum de ton sang.
Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées!
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
Et je buvais ton souffle, O douceur! O poison!
Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.
La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,
Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton coeur si doux?
Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses!
Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes,
Comme montent au ciel les soleils rajeunis
Après s'être lavés au fond des mers profondes?
O serments! O parfums! O baisers infinis!
Charles Baudelaire
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A Very Short Song
Once, when I was young and true,
Someone left me sad-
Broke my brittle heart in two;
And that is very bad.
Love is for unlucky folk,
Love is but a curse.
Once there was a heart I broke;
And that, I think, is worse.
Dorothy Parker
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